Bride Stories – Otoyomegatari Volume 1

Publié: 6 juin 2011 dans Manga
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J’ai passé ma journée à écrire, fignoler et boucler des articles sur les mangasses, alors je suis encore chaud pour produire une petite critique de mon cru, t’as vu.

De toute ma hauteur d’être haïssable, une des caractéristiques (haïssables, donc) dont je suis le plus fier est de parfois participer à des conférences de presse. Outre l’habituel pot d’après blabla où on repère le journaleux le plus crevard à celui qui a l’assiette la plus remplie/le verre toujours plein, on a parfois des cadeaux presse, comme des trucs ou des machins. Parfois même des machtrucs. Bref. Alors même que je participais passivement en twittant mollement à ça pour le compte du Journal du Japon (envoyé spécial que j’étais, il paraît), on m’a remis un sac avec plein de choses diversement utiles : une poupée japonaise qui maintenant s’ennuie et prend la poussière sur ma table de chevet, un artoy Black Jack assez cool, des brochures, et deux mangas de chez Ki-Oon, les volumes 1 de Judge (ça ressemble certainement à Doubt, mais sachant que je n’ai pas lu cette série, j’en sais en fait foutrement rien), et Bride Stories. De toute façon, les trucs gratuits, c’est toujours bien. Sauf peut-être le SIDA.

Alors que la couverture pouvait avoir un côté plaisant, mon côté gros con a pris le dessus et m’a bien fait comprendre que « y’a BRIDE dans le titre. Encore un truc de gonzesse. Aller, viens, t’attardes pas là-dessus et va plutôt te reprendre une Asahi et rejoindre les gens de Total Manga avant que l’open bar ne ferme, et, doh, by the way, ça serait pas des sushis de saumon qui traînent là-bas ? ». Bref, pendant quelques longues 48 heures, je passais à côté d’un petit chef d’œuvre de la bande dessinée nippone. Il aura fallu que je trimballe ledit volume avec moi et que je m’ennuie pendant une petite demi-heure sans même avoir de Top 10 à me mettre sous la rétine pour j’ose commencer à lire ce Otoyomegatari (乙嫁語り). Grand bien me fasse.

Don’t tell my mom I read stuff with the word « bride » in the title. She thinks I’m straight.

De quoi c’est-y donc que ça parle, Bride Stories, à part de mariée et d’histoires ? Ca parle d’un clan d’Asie Centrale (que l’on situera quelque part entre le Caucase et feu la mer d’Aral, sur l’ancienne Route de la Soie) au XIXème siècle, et de Amir, jeune femme de 20 ans, qui a épousé Karluk, de 8 ans son cadet. Et de leur vie au sein de la famille de Karluk. Des petites différences, comme dirait Vincent Vega, entre le clan d’où est originaire Amir, et celui de son époux. Et puis de toute une culture/un monde/une population dont on ne soupçonnait pas l’existence avant la Tchétchénie ou les attentats du 11 septembre 2001 (aux yeux de George W. Bush, Azerbaïdjan ≈ Afghanistan). Et pas de trucs chiants comme la condition de la femme dans les sociétés patriarcales meso-orientales pré-industrialisées ou le conflit germant entre chiites et sunnites dans la région. Pourquoi ? Parce que :

  1. C’est pas du franco-belge.
  2. Ca n’a pas lieu d’être : les persos nagent dans un bonheur relatif. Y’a même un savant britannique qui étudie leurs moindres faits et gestes.
  3. Ca s’appelle Bride Stories, pas Brides Story, ou Women who are excised Stories.
  4. C’est pas du franco-belge.
Comme vous pouvez le constater ici, ou dans l’extrait mis en lecture gratuite à la disposition des internautes, le trait est assez sublime. A la plume et au crayon, on a Kaoru Mori, mangaka qui s’est faite connaître avec Emma, une romance plus axée shôjo que le titre qui nous intéresse ici, se déroulant dans le Londres victorien ; l’histoire d’amour impossible entre une femme de chambre et un aristocrate [insert here a DSK joke]. Déjà à l’époque, le trait se distinguait de la masse de la production globale manga. Un vrai soucis du détail et du crédible (contexte historique et sociétal rendu de manière très bien) qui lui avait valu une adaptation en anime, ainsi que de nombreux prix à l’étranger, genre celui du Singe Hurleur de Beijing ou un truc comme ça.
Avec Bride Stories, elle place la barre encore plus haut. Si la période historique reste la même, les milieux géographiques, sociaux et ethnologiques sont complètement différents. Et pourtant, à la lecture de ce premier volume, on y est. On sent l’odeur de l’herbe sèche et du mouton grillé. On a les cheveux ébouriffés par le vent des steppes. On voit le bleu du ciel qui s’étend à l’infini, et le détail minutieux de chaque tapisserie. C’est dingue qu’on puisse retranscrire une réalité de manière si crédible comme ça.
Bien évidemment, il y a une intrigue, aussi, dans Bride Stories (le clan d’où est originaire Amir veut récupérer cette dernière pour la marier à meilleur parti). Mais même, ça n’a pas tant d’importance que ça. Ce qui est important, c’est le petit Rostem qui fait vite et mal le ménage de la cour familiale pour aller voir le vieux monsieur qui grave des linteaux de bois qui deviendront de superbes montants de porte. Ce qui est important, c’est qu’il y a un arc dans le trousseau de mariée de Amir et qu’elle sait super bien s’en servir pour chasser le lièvre. Ce qui est important, c’est que quand Karluk choppe la crève, tout le monde est inquiet (tiens, comme dans le dernier épisode en date de Hanasaku Iroha). Toutes ces bêtes petites histoires qui, bien racontées, valent une Anabase ou une Enéide.
Cependant, alors que la précision du récit frôle l’exhaustivité relative d’un reportage du National Geographic, on n’en oublie pas moins qu’on a toujours à faire à du manga. Là aussi est le tour de force. Mori parvient à utiliser avec brio les différents codes graphiques de la BD japonaise, les intégrant logiquement et facilement dans son récit d’images. Lignes de vitesse, goutte de sueur, rougissement du visage, nuage de buée… tout y est.
Seul bémol à cette liste laudatrice : on en veut toujours plus. Or, à l’heure actuelle, la série en est à son 2ème tankobon (volume relié) au Japon, même si un 3ème est à prévoir dans les jours à venir. La faute au soucis du détail, justement. Au rythme d’un chapitre tous les deux mois (la série est publiée dans le bimestriel fellows!), il va falloir patienter avant de connaître le dénouement effectif du manga. Une torture compensée par la relecture de ce qui a déjà été édité, mais qui est forcément frustrant.
En un mot comme en cent, achetez et lisez Bride Stories. Ca permet de changer d’air et de prendre un peu de distance vis-à-vis de tous ces nekketsu identiques. Respirez un bon coup, et prenez votre envol vers les plaines du bassin caspien ! Le manga sort le 9 juin, alors n’hésitez pas.

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